Le 1
er décembre 2025, de 18h30 à 21h00, s’est tenue à Paris la soirée
« La portée politique de l’Évangile », organisée par la
Faculté de Théologie, la
Faculté de Philosophie et la
Faculté de Sciences sociales, d’Économie et de Droit de l’ICP.
La rencontre s’ouvrait par la
projection du documentaire de François-Xavier Drouet,
L’Évangile de la révolution, retraçant l’histoire de la théologie de la libération à travers quatre pays d’Amérique latine : le Salvador, le Brésil, le Nicaragua et le Mexique. Le film explore
l’émergence d’un christianisme engagé au cœur des luttes sociales, sans confondre cette théologie avec la lutte armée, tout en évoquant ses liens avec les mouvements sandiniste et zapatiste.
La théologie de la libération
La table ronde, introduite et animée par Benoît Sibille, docteur en philosophie et responsable du
Cycle Phi (Faculté de Philosophie, ICP), posait le cadre de la discussion : réfléchir à ce que signifie aujourd’hui
évoquer une « portée politique de l’Évangile » dans des sociétés marquées par la sécularisation et par la défiance à l’égard de toute instrumentalisation religieuse du pouvoir.
À partir de cette tension,
entre neutralisation de l’Évangile et risques de récupération politique, était présentée la
théologie de la libération comme une troisième voie théologico-politique :
non pas fondatrice d’un pouvoir ou légitimante d’une autorité, mais fondamentalement critique, remettant en cause toute sacralisation du pouvoir, de l’argent ou de la violence militaire, perçus comme des formes d’idolâtrie.
Cette approche ouvre également
une relecture de la place de la théologie de la libération au sein de l’Église catholique, rappelant les débats liés aux documents romains des années 1980, à l’affirmation de Jean-Paul II sur son caractère « nécessaire », puis à la réhabilitation progressive amorcée sous Benoît XVI et poursuivie avec le pontificat du pape François.
Aux sources du christianisme de la libération
Michael Löwy, philosophe et sociologue franco-brésilien, est intervenu en premier pour revenir sur
les racines du mouvement. Avant d’être un courant théologique, la théologie de la libération est issue d’un christianisme de la libération,
né au Brésil dans les années 1960 parmi les mouvements étudiants catholiques, puis étendu aux enseignants, aux ordres religieux et aux communautés ecclésiales de base.
Ce mouvement est porté par un engagement critique envers les dictatures, mais également envers le capitalisme, identifié comme source majeure d’injustice.
La théologie de la libération apparaît ensuite comme la mise en forme théologique de ces pratiques d’émancipation.
M. Löwy a souligné
le passage d’une logique de « développement », inspirée notamment par la pensée chrétienne européenne, vers celle de « libération », affirmant que
les pauvres ne sont plus seulement objets de charité, mais deviennent les sujets de leur propre libération, engagés au sein de syndicats, mouvements paysans ou communautés de base.
Sur le terrain, la foi à l’épreuve du réel
Marcela Villalobos-Cid a partagé son parcours personnel au Mexique, dans le contexte de la pastorale de la jeunesse mariste imprégnée de cette théologie. Elle a décrit les pratiques de terrain :
immersion sociale, liens avec les populations rurales et indigènes, mission durant la Semaine Sainte ou l’été, et méthode pédagogique articulée autour de l’observation de la réalité, du discernement et de l’action.
Elle a évoqué
sa découverte directe de la pauvreté et de l’oppression lors de séjours au Chiapas, cinq ans après le soulèvement zapatiste, racontant la confrontation à des situations d’extrême précarité et la manière dont
l’Évangile était lu en dialogue avec la vie quotidienne, exprimée par la formule consistant à « rompre le pain à la table comme à la messe ».
Ces expériences ont nourri, selon elle,
une compréhension de la foi comme appel à l’engagement professionnel et social, notamment dans son travail ultérieur sur les questions migratoires.
Marcela Villalobos-Cid a également rappelé le
rôle historique de plusieurs communautés religieuses et figures ecclésiales dans la promotion de la paix et la défense des peuples indigènes.
Quand la liturgie devient résistance
David Sendrez, docteur en théologie et directeur de
l’Institut Supérieur de Théologie des Arts (ICP), a centré son intervention sur
la place de la liturgie, très présente dans le documentaire. Il a souligné
le contraste entre la liturgie latino-américaine, décrite comme corporelle, fervente et incarnée dans la réalité sociale, et une liturgie française perçue comme plus institutionnelle et distante.
À partir d’exemples présentés dans le film, il a montré comment
prières et célébrations pouvaient devenir des espaces d’expression et de contestation, mêlant invocation religieuse et dénonciation des injustices, illustrant ainsi une articulation vivante entre foi et transformation sociale.
Échanges : une espérance en action
La discussion s’est ensuite élargie aux contributions du public, évoquant notamment
l’importance historique de la conférence épiscopale de Medellín (1968) dans la reconnaissance
d’une option préférentielle pour les pauvres, ainsi que les phénomènes de répression subis par les mouvements chrétiens engagés et l’influence croissante des églises évangéliques.
Michael Löwy a rappelé que la théologie de la libération demeure vivante aujourd’hui, notamment au Brésil, à travers les communautés de base, les pastorales sociales et surtout les grands mouvements paysans, dont les cadres ont bien souvent été formés dans ces réseaux ecclésiaux.
Les échanges ont également porté sur la tension entre messianisme et eschatologie, questionnée à plusieurs reprises au cours de la soirée. Les intervenants ont mis en avant une
théologie dynamique de la responsabilisation, dans laquelle l’histoire reste ouverte et à construire collectivement, nourrie par une espérance chrétienne orientée vers l’action présente plutôt que vers l’attente passive d’un accomplissement final.
L’Évangile libérateur, un héritage pour aujourd’hui
La soirée s’est achevée sur le rappel du retentissement mondial de la théologie de la libération, dont les prolongements se retrouvent aujourd’hui dans les théologies contextuelles en Amérique du Nord, en Afrique du Sud ou en Palestine.
Les organisateurs ont remercié l’ensemble des intervenants, le réalisateur François-Xavier Drouet et les équipes de l'atelier documentaire, avant de conclure par un hommage «
au peuple d’Amérique latine et à sa foi dans le Christ libérateur ».
Revivez la table ronde en audio – écoutez l’enregistrement ici.