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Penser un impensé : le vieillissement des grands précaires

À l’occasion de la Journée mondiale de sensibilisation à la maltraitance des personnes âgées, les travaux de Sophie Rouay-Lambert prennent une résonance particulière. Elle lance le DU Gérontologie sociale et précarités pour traiter un enjeu encore méconnu : le vieillissement des personnes en situation de grande précarité.

Sophie Rouay Lambert ICP - F. Albert

Vieillir dans la grande précarité : une réalité invisible

Depuis plus de 25 ans, Sophie Rouay-Lambert, docteure en urbanisme et aménagement et enseignante-chercheuse en sociologie à l’ICP, consacre ses travaux aux espaces et processus de marginalité et aux publics souvent invisibilisés de notre société.
Son travail s’ancre dans la rue, au contact des personnes vivant en grande exclusion.

« J’ai commencé par me demander comment les personnes vivaient au quotidien à la rue, comment elles parvenaient à se recréer un espace privatif dans l’espace public » Sophie Rouay-Lambert


Au fil de ses recherches, un angle mort émerge : le vieillissement des personnes sans abri. « Il y avait déjà de nombreux travaux sur les jeunes à la rue mais rien sur les plus âgés. À partir des années 2000, on a pensé que les personnes à la rue mouraient en moyenne à 48 ans. Ce chiffre, issu des travaux du collectif Les morts de la rue, a été mal interprété. Il s’agit bien d’une moyenne d’âge au décès et non d’une échéance. Cette confusion a conduit à une représentation erronée, laissant penser que les personnes sans domicile ne vieillissaient pas. Pourtant, elles vivent, elles avancent en âge mais de manière différente, et se retrouvent dans des dispositifs inadaptés. Leur vieillissement demeure un impensé collectif, trop souvent ignoré des politiques publiques et des institutions. Faute d’anticipation, il n’est ni préparé, ni accompagné. »
 
À partir de 50 ou 60 ans, ces personnes présentent une dépendance précoce, équivalente à celle de personnes bien plus âgées. Pourtant, elles sont exclues des dispositifs existants. « Elles sont trop jeunes pour entrer en EHPAD, mais déjà trop fragiles pour les structures classiques d’insertion. Elles sont hors cadre car aucun dispositif n’est adapté pour les recevoir »
À l’heure où l’on dénonce les abus envers les aînés, qu’en est-il des personnes dont on ne considère même pas le vieillissement ? Invisibles des politiques publiques, en marge des dispositifs, ils sont au cœur des recherches de Sophie Rouay-Lambert.
 

Un DU pour penser ensemble et agir autrement

C’est de ce constat qu’est né le DU Gérontologie sociale et précarités, porté par l’ICP. « Depuis quelques années, au fil de mes interventions, auprès d’institutions publiques et privées, une remarque revenait sans cesse : “Nous ne sommes pas formés, nous ne savons pas comment faire.” Ce constat récurrent m’a conduite à concevoir un espace de formation pensé pour favoriser le dialogue entre des milieux professionnels longtemps pensés en silo, bien qu’ils soient confrontés aux mêmes réalités de terrain. »
 
Ce DU propose une approche transversale, pensée pour croiser les regards et les compétences. Il s’adresse à des professionnels évoluant dans le social, le médical et l’habitat. Il combine apports théoriques et immersion pratique, en articulant des notions clés comme l’autonomie, la dépendance et les formes de précarité. Il favorise les échanges entre professionnels confrontés à des situations similaires mais souvent formés séparément.

« L’objectif est de mettre autour de la table des participants provenant des différents milieux professionnels concernés et qu’à l’issue de la formation, ils soient en mesure de repenser leur projet d’établissement, de réajuster leurs pratiques, voire leurs choix d’aménagement architectural pour accueillir et accompagner au mieux le vieillissement des grands précaires. »


Transformer les pratiques, anticiper l’avenir

D’ici 2030, la France comptera plus de 20 millions de personnes âgées. Face à cette transition démographique, aggravée par la montée des précarités, il est essentiel d’adapter les dispositifs et les lieux d’accueil, de soin et d’accompagnement. « Les grands précaires sont un peu comme des éclaireurs. Trouver des réponses adaptées pour eux, ouvre de pistes de solutions pour bien d’autres. » explique Sophie Rouay-Lambert.

Le programme inclut des visites de lieux innovants, des interventions de terrain et un mémoire-projet adossé à l’évaluation de pratiques réelles. « Cette formation se veut un laboratoire vivant, un espace de réflexion, mais surtout un lieu ou penser l’action autrement. Ce DU est une déclinaison très concrète de la recherche, au service des professionnels et des publics concernés. »
 

Le Diplôme universitaire ouvrira en 2026. Toutes les informations relatives aux modalités pratiques seront disponibles courant juin. 
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Publié le 13 juin 2025 Mis à jour le 13 juin 2025

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