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1964-2024 : retour sur 60 ans de relations diplomatiques entre la France et la Chine

Mme Rachida Dati, Ministre de la Culture française, et son homologue chinois, M. Sun Yeli, ont lancé l'année franco-chinoise du tourisme culturel et célébré les 60 ans de l'établissement des relations diplomatiques entre les 2 pays. Décryptage avec Emmanuel Lincot, sinologue et professeur à l'ICP.

année France Chine 2024 Pexels - Angela Roma

Pouvez-vous nous expliquer dans quel contexte, les relations diplomatiques entre la France et la Chine ont été établies en 1964 ?  

Cette reconnaissance est établie dans un contexte de Guerre froide à une époque où le Général De Gaulle, enfin débarrassé du fardeau colonial, essaie d’ouvrir une troisième voie. Les Chinois ont de leur côté rompu leurs relations avec l’URSS et cherchent également des appuis. Enfin, il existe depuis Bandung (1955), une volonté pour la Chine de se saisir du leadership tiers-mondiste qui serait dommageable pour les intérêts français en Afrique notamment. Or quel meilleur moyen que d’en canaliser les dérives en reconnaissant Pékin ? C’est en lui coupant l’herbe sous le pied que cette reconnaissance de la République populaire est alors envisagée. Et à cet impératif de politique extérieure correspond aussi un autre objectif : mieux contrôler cette jeunesse française d’extrême-gauche, déjà prompte à la révolte et en rupture de ban vis-à-vis du Parti Communiste Français. Avec cette reconnaissance, c’est tout le romanesque d’une figure consensuelle, André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles qui, symboliquement parlant, établi un lien imaginaire entre sa propre génération et cette jeunesse acquise aux idées révolutionnaires inspirées par Pékin, nouvelle Mecque du communisme international opposée à Moscou. Last but not least, De Gaulle veut retrouver une plus grande latitude diplomatique par rapport à Washington qu’il a soutenu sans faillir durant la crise qui a opposé, deux ans plus tôt, le monde occidental aux Soviétiques avec la crise des missiles à Cuba. Il sait en outre que Pékin est en mesure de se doter de l’arme nucléaire. Comment peut-on ne pas reconnaître un pays qui a la bombe ? Comment peut-on ne pas reconnaître un pays qui est alors peuplé de 600 millions d’habitants ?

Cette reconnaissance a été précédée de voyages effectués par un certain nombre de personnalités. Le couple Sartre-Beauvoir, mais aussi le parlementaire Edgard Faure ou l’acteur Gérard Philippe… Il existe une sympathie réelle des Français pour la Chine. Cette image plutôt favorable est liée à des relations déjà séculaires, qui ont été notamment soutenues sous l’Ancien Régime par la médiation des Jésuites. Elle contrebalance une image plus négative que colportent les anciens de l’Indochine, qui ont dû combattre des communistes vietnamiens aidés des Chinois, mais aussi le clergé catholique, qui jusqu’à l’instauration du régime communiste en 1949 possède sur le continent chinois des diocèses, ainsi que des biens immobiliers considérables dont la jouissance lui a été retirée suite à l’expulsion de ses missionnaires et de ses prêtres.

De Gaulle n’établit pas ces liens avec Pékin de gaieté de cœur pour autant. Il charge deux de ses fidèles, les généraux Pechkoff – le neveu de Maxime Gorki, rallié à la cause des Russes blancs puis celle de la France Libre – et Guillermaz – sinologue, grand spécialiste du Parti Communiste Chinois et futur fondateur de ce qui deviendra à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) la première chaire des études chinoises contemporaines, d’annoncer à Chiang Kaï-ckek lui-même, alors réfugié à Taïwan, sa décision. Initiateur de la politique française de la reconnaissance d’« une seule Chine » (Pékin en l’occurrence) qui depuis soixante ans a été maintenue par Paris, il faut toutefois démystifier le poncif constamment rappelé par les Français et les Chinois selon lequel la France aurait été le premier pays occidental à reconnaître la République populaire de Chine. D’autres pays comme la Grande Bretagne l’ont fait avant la France. La Révolution culturelle en Chine brisera net et durant près de dix ans l’amorce de ce premier rapprochement avec la France. Il faudra attendre plusieurs décennies et les années Jacques Chirac / Jiang Zemin pour que la relation bilatérale connaisse à la fin du XX° siècle une véritable embellie et ce, après avoir surmonté une crise majeure : celle des répressions de Tiananmen (1989) et la vente d’armes à Taïwan (Mirages 2000 et frégates Lafayette) initiée par François Mitterrand.
 

Comment "se portent" ces relations diplomatiques aujourd'hui ? 

Alors que l’anarchie semble être devenue la norme dans le monde, il est important de s’attacher à quelques dates anniversaires. Elles sont autant de repères. Celle de la reconnaissance de la République populaire de Chine en est une mais il en est une autre qui sera célébrée en juin : le débarquement de Normandie. Ces dates donnent un cadre et de la respiration à un agenda international le plus souvent bousculé.

Pour ce qui concerne la coopération franco-chinoise, elle est importante dans des domaines où la France excelle :
  • aéronautique (songez que moyen-courrier chinois, le Comac 919, doit en grande partie son ingénierie à Safran et à Thalès…) avec la création d’une deuxième chaîne de montage d’Airbus à Tianjin,
  • industries du luxe,
  • agro-alimentaire (ce dernier secteur exerçant une part encore insuffisante dans les échanges bilatéraux),
  • éducation avec à Paris l’ouverture symbolique de la Maison de la Chine - Jardin de l’harmonie à la Cité Universitaire (14° arrondissement) qui accueillera 300 étudiants sur le campus de la Cité Universitaire.

Toutefois, on le sait, cette relation est devenue asymétrique car nettement déficitaire pour la France et l’importation à très court terme des voitures BYD sur le territoire européen met au défi toute une partie de notre industrie automobile.  La France, par souci d’équilibre, s’est davantage ouverte sur le plan économique à l’ « autre » Chine, Taïwan. Dans ce contexte, elle accueillera dans la région de Dunkerque ProLogium, une usine très importante de batteries à électrolyte. Ce pragmatisme français dans le choix de ses partenaires corrobore une situation qui s’observe partout dans le monde : la poursuite des intérêts stratégiques des nations est le plus souvent aux antipodes de leurs intérêts économiques. Dans le cadre stratégique précisément, la France et la Chine maintiennent un dialogue qui est différent de celui de l’AUKUS et de Washington dont la posture, en revanche, est délibérément la recherche de la confrontation.
 

En quoi consiste l'année franco-chinoise du tourisme culturel ? 

La France souhaite conserver des relations coopératives avec la Chine plus équilibrées et ce, en privilégiant notamment les échanges culturels.

Le développement du tourisme est une composante de ces échanges. Il permettra de conserver un lien entre les deux pays et de préparer un avenir meilleur pour les échanges entre les générations futures. De grandes expositions comme celle consacrée à l’épopée des Jésuites en Chine aura lieu au palais de Versailles tandis que le prolongement des activités du Centre Pompidou à Shanghai a été reconduit sur ces cinq ans. Ce sont là des exemples significatifs qu’il serait intéressant de développer aussi d’un point de vue des échanges universitaires. 

 
Publié le 23 février 2024 Mis à jour le 1 mars 2024

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