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[#Décennie 1870 n°2] Le tourbillon politique et la naissance de la IIIe République

Entre la chute du Second Empire et la naissance de la IIIe République, la France traverse une décennie de grands bouleversements. Défaite militaire, insurrection, débats constitutionnels acharnés : les années 1870 dessinent le visage d'une nation en quête d'identité politique.

creation IIIe Republique France À Paris, la foule se rassemble devant l’Assemblée nationale, alors que les députés ont proclamé la fin du Second Empire, le 4 septembre 1870, après la défaite de Sedan face à la Prusse. Tableau de Jules Didier et Jacques Guiaud. 1870. Musée Carnavalet, Paris


De l'Empire à la débâcle (1870-1871)

L'année 1870 s'ouvre sous les auspices d'un Empire apparemment consolidé. En mai, Napoléon III semble plus renforcé que jamais. Pourtant, quelques semaines plus tard, l'affaire de la succession d'Espagne précipite la France dans un conflit qu'elle n'est pas préparée à mener. Lorsque le trône d'Espagne est proposé à un prince prussien, Léopold de Hohenzollern, également cousin du roi de Prusse, la France y voit une manœuvre d'encerclement. Le chancelier prussien Otto von Bismarck exploite habilement les tensions diplomatiques : la fameuse dépêche d'Ems, reformulée de manière offensante, met le feu aux poudres.

Le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Les élites françaises se bercent d'illusions sur leurs chances de succès. Mais l'armée impériale, mal commandée et mal préparée, est dépassée par l’armée prussienne et enchaîne les défaites. Napoléon III lui-même, malade et souffrant, peine à monter à cheval.

Le 2 septembre 1870 marque un tournant à Sedan. Napoléon III est fait prisonnier avec 104 000 soldats. Deux jours plus tard, le 4 septembre, la République est proclamée à Paris sous les acclamations de la foule. Un gouvernement de Défense nationale se constitue, déterminé à poursuivre le combat. Mais Paris est bientôt assiégée par les troupes prussiennes. Pendant quatre mois, la capitale affamée résiste. Le 28 janvier 1871, l'armistice est signé. La France doit céder l'Alsace et une partie de la Lorraine, payer une lourde indemnité de guerre, et subir le défilé des troupes prussiennes sur les Champs-Élysées le 1er mars.
 

La Commune de Paris : fracture et traumatisme (Mars-Mai 1871)

C'est dans ce climat d'humiliation nationale que naît l'insurrection parisienne. Le peuple de Paris, qui a enduré le siège et la famine, se sent trahi par une Assemblée nationale dominée par les monarchistes, élue le 8 février 1871 sur la question de la paix. Adolphe Thiers, chef du gouvernement provisoire, prend des décisions qui exacerbent les tensions : l'Assemblée s'installe à Versailles plutôt qu'à Paris, le moratoire sur les loyers est supprimé, menaçant de ruine commerçants et artisans.

L'étincelle survient le 18 mars 1871. Thiers ordonne la saisie des canons entreposés sur la butte Montmartre, que les Parisiens avaient achetés pour défendre leur ville. À l'aube, les troupes du général Lecomte tentent de s'emparer des pièces d'artillerie, mais la foule les en empêche. Les soldats fraternisent avec les insurgés. Les généraux Lecomte et Thomas sont fusillés. Thiers et le gouvernement fuient précipitamment vers Versailles, abandonnant la capitale au Comité central de la Garde nationale.
Des élections sont organisées le 26 mars pour constituer un conseil municipal. Malgré une forte abstention, le Conseil de la Commune est proclamé le 28 mars. Cette assemblée hétéroclite rassemble blanquistes, jacobins, proudhoniens et internationalistes, unis par le rejet du gouvernement versaillais mais divisés sur le projet politique à mener. Certains rêvent d'une dictature parisienne sur toute la France, d'autres d'une fédération des communes.

Pendant 72 jours, la Commune tente de gouverner Paris. Elle adopte des mesures symboliques fortes : le drapeau rouge, la séparation de l'Église et de l'État, la gratuité et la laïcisation de l'enseignement. Mais les dissensions internes paralysent l'action, tandis que les combats contre les troupes versaillaises accaparent toutes les énergies.

La répression est terrible. Du 21 au 28 mai 1871, lors de la Semaine sanglante, les forces de Thiers reconquièrent Paris quartier par quartier. Les communards multiplient les barricades et incendient des bâtiments publics, dont les Tuileries et l'Hôtel de Ville. On estime le nombre de victimes entre 10 000 et 20 000 morts, essentiellement du côté des insurgés. Des milliers d'autres sont déportés en Nouvelle-Calédonie.
 

La construction chaotique de la IIIe République (1871-1875)

Après l'écrasement de la Commune, la question du régime politique reste entière. L'Assemblée nationale élue en février 1871 compte une majorité écrasante de monarchistes, environ 400 députés sur 650. Pourtant, la restauration monarchique ne se réalisera jamais.
Adolphe Thiers devient président de la République en août 1871. Il parvient à payer par anticipation l'indemnité due à l'Allemagne, permettant la libération du territoire dès 1873. Mais lorsqu'il se prononce clairement en faveur d'une république conservatrice en novembre 1872, l'Assemblée monarchiste le renverse. Le 24 mai 1873, le maréchal Patrice de Mac Mahon le remplace à la présidence.

Sous Mac Mahon commence la période de l'« Ordre moral ». La construction du Sacré-Cœur est décidée en juillet 1873. Les monarchistes tentent de restaurer la royauté, mais le comte de Chambord refuse d'abandonner le drapeau blanc pour le drapeau tricolore. Cette intransigeance fait tout échouer.
Face à l'impasse, l'Assemblée doit se résoudre à organiser le régime. Le 30 janvier 1875, l'amendement Wallon est adopté de justesse, à une voix de majorité : 353 contre 352. Il établit le septennat impersonnel et impose le régime républicain. Entre février et juillet 1875, trois lois constitutionnelles établissent une république parlementaire avec une Chambre des députés et un Sénat. La République naît ainsi par défaut, fruit d'un compromis plutôt que d'un choix délibéré.

Mais la bataille continue. En 1876, les républicains gagnent largement les élections législatives. Mac Mahon résiste : le 16 mai 1877, il renvoie le gouvernement républicain et dissout la Chambre. Mais les électeurs, en octobre, confirment massivement leur choix républicain. Mac Mahon doit se soumettre. Cette crise du 16 mai 1877 scelle définitivement le caractère républicain du régime.
 

La question religieuse au cœur des débats

Au-delà des querelles constitutionnelles, c'est la place de l'Église dans la société qui cristallise les passions. Depuis la Révolution française, la France est déchirée entre catholiques attachés à l'influence de l'Église et républicains porteurs d'un projet de sécularisation.
En 1864, le pape Pie IX a publié le Syllabus, condamnant le libéralisme, la séparation de l'Église et de l'État, et la liberté de conscience. En 1870, le concile Vatican I proclame l'infaillibilité pontificale. Pour les républicains, ces textes prouvent que l'Église est hostile aux principes démocratiques. L'anticléricalisme devient un élément structurant de leur programme.

Sous l'Assemblée monarchiste de 1871-1875, l'Église bénéficie de la politique de "l'Ordre moral". Mais cette alliance entre catholicisme et forces conservatrices renforce l'opposition républicaine. La formule résonne : « Le cléricalisme, voilà l'ennemi ! »
Les catholiques, de leur côté, se méfient d'une République qu'ils associent aux excès révolutionnaires. Beaucoup n'ont pas oublié la Terreur de 1793. Ils ont longtemps cru inséparables la cause du trône et celle de l'autel.
L'enseignement devient le champ de bataille décisif. Pour les républicains, l'école est le terrain où se joue l'avenir du régime. Pour les catholiques, l'enseignement religieux est essentiel à la formation morale des citoyens. C'est dans ce contexte que se déroule le débat sur la liberté de l'enseignement supérieur, qui aboutira à la loi du 12 juillet 1875 autorisant la création d'établissements privés, dont l'Institut Catholique de Paris quelques mois plus tard.


Les fractures ouvertes au cours de cette décennie marqueront durablement la société française. L'antagonisme entre républicains et monarchistes, entre laïcs et catholiques, entre Paris et la province, structure la vie politique pour les décennies à venir. La perte de l'Alsace-Lorraine alimente un sentiment revanchard qui pèsera lourd dans les relations internationales.
Pourtant, malgré sa naissance chaotique, la IIIe République prouve rapidement sa capacité à perdurer. Contrairement aux régimes précédents qui se sont succédé à un rythme frénétique depuis 1789, elle s'installe dans la durée. Les institutions de 1875 offrent un cadre stable qui permet à la France de se reconstruire, de retrouver sa place dans le concert des nations, et de développer un projet républicain qui, progressivement, gagnera l'adhésion d'une majorité de Français.
Publié le 11 décembre 2025 Mis à jour le 11 décembre 2025

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