Libellé inconnu
Paris

Les servantes d’assemblée, ligne de fracture entre catholiques ?

Servants d’autel-Servantes d’assemblée : une question liturgique typique des crispations franco-françaises. Le frère Patrick Prétot nous aide à prendre un peu de hauteur.

illu article servant ISL

Les servantes d’assemblée, ligne de fracture entre catholiques ?

Le frère Patrick Prétot, osb, professeur à l'Institut Supérieur de Liturgie, éclaire cette question apparue récemment dans un article du journal La Croix.


En marge du grand rassemblement de Rome, organisé du 22 août au 26 août 2022 par le Service National de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle de la Conférence des évêques de France, le titre d’un article dans La Croix du 22 août pouvait retenir l’attention : « Les servantes d’assemblée, ligne de fracture entre catholiques ».

Publiée le 23 août, une tribune d’Hélène Bricout, enseignante à l'Institut Supérieur de Liturgie sur cette question des servantes d’assemblée soulignait que « les ministères laïcs ne sont pas genrés » (Tribune, 23 août 2022). Ce disant, elle essayait de dépasser la ligne de fracture en s’appuyant sur une anthropologie théologique inspirée des Écritures et sur la théologie de l’assemblée liturgique que nous a léguée le Concile Vatican II et la réforme qui en a été le fruit.
 

Pendant longtemps, on a désigné ce ministère particulier par l’expression « enfant de chœur ».

Par l’habit, la soutane et le surplis notamment, ces « enfants de chœur » étaient assimilés à des clercs. Et on peut noter qu’ils étaient désignés par la place qu’ils occupaient à l’église. Dans un temps où l’espace du sanctuaire était séparé de la nef par une clôture, ils entraient au sanctuaire et approchaient de l’autel, ce qui était alors réservé aux seuls clercs.

Sans pouvoir ici faire l’histoire de l’expression, le terme « servant d’autel », qui a en général, mais pas toujours, remplacé celui d’enfant de chœur, avec cette fois habituellement, le port de l’aube blanche avec ou sans cordon (et de la croix), est le fruit des évolutions de la liturgie au XXe siècle.
Il est probable que ceci n’est pas sans lien avec l’émergence au début du XXe siècle, d’un rite de passage à l’adolescence : la profession de foi pour laquelle s’est imposé peu à peu le port de l’aube blanche, et ceci aussi bien pour les filles que les garçons. Le terme de « servante de l’assemblée » est, on le voit, calqué sur celui de « servant d’autel ». Mais derrière ces nominations, c’est en définitive la mémoire en creux de la notion d’« enfant de chœur » qui apparaît à travers une répartition géographique dans l’espace liturgique : aux garçons la proximité de l’autel, et aux filles, une place dans la nef.
 

Une mission à clarifier pour les fidèles

La notion de « servants d’autel » a donc une double face dans un imaginaire collectif assez brouillé en matière de liturgie.
D’une part pour beaucoup, ce sont ou cela devrait être (encore exclusivement) des jeunes garçons qui aident le prêtre dans la liturgie eucharistique de la messe.
D’autre part, ce sont des garçons et des filles habillés en blanc, qui remplissent des services liturgiques particuliers (thuriféraire, céroféraire, etc.).
Avec un double risque : d’une part donner à penser que ces services sont avant tout un « rôle » et donc les réduire à une contribution par le « faire », et d’autre part, induire l’idée que si on n’est pas engagé dans ces services, on « ne fait rien » à la messe, voire on n’a rien à y faire.

Or en liturgie, personne ne peut s’approprier un service, y compris la présidence, car tout service est effectué « au nom de » comme le rappelle le signe de croix au début de la célébration. De plus, parce que la liturgie est œuvre divine (opus Dei) et pas seulement action humaine faite pour Dieu (cf. Vatican II, Constitution sur la liturgie, n. 2), tout service échappe en quelque sorte à celui qui l’effectue.

Car en liturgie, les services entrent dans la symphonie d’une action commune qui est en premier lieu celle qu’opère la grâce de Dieu.
 

Des textes pourtant précis

Rappelons que la Constitution sur la liturgie de Vatican II affirme que les servants exercent un « véritable ministère » (SC 29). Dès lors le nom qui serait le plus juste serait celui de « ministres ». Car ils ne sont pas qu’au service de l’autel mais tout autant de la liturgie de la Parole et donc si l’on suit la référence spatiale, « servants de l’ambon ». Et bien sûr, ils sont tous « servants de l’assemblée » car tout ministère liturgique (y compris celui de présidence ou celui du diacre) est service de l’assemblée comme figure de l’Église en prière et corps du Christ.

A ce titre, le lecteur ou ceux qui sont chargés de la prière universelle, sont aussi « servants de l’assemblée ». Ils servent le Christ qui parle à l’assemblée comme le dit la Constitution sur la liturgie de Vatican II (SC 7) et dans la prière universelle, ils servent la prière de l’Église.
La réservation exclusive de l’expression « servantes de l’assemblée » à des filles exerçant un service dans la nef est donc assez discutable en tant qu’elle introduit subrepticement une séparation entre la nef et le sanctuaire, et plus encore entre l’assemblée et les divers ministères.

Avec St Augustin, il faut en effet rappeler que le principe « avec vous, je suis chrétien, pour vous je suis évêque » implique que même les ministres ordonnés font partie de l’assemblée et sont « servants de l’assemblée ». On ne peut diviser le corps du Christ même si certains désignent plutôt la tête qui est le Christ.
 

Ministère ? Pas ministère ?

En définitive, on voit surtout que l’expression servant d’autel tend à penser ce ministère « à partir de », mais surtout comme une sorte de « participation » au ministère ordonné. De là, une propension à le réserver aux seuls garçons dans la mesure où le ministère ordonné est conféré aux hommes seulement. L’expression « servant d’autel » tend donc, en quelque sorte, un piège qui empêche de penser ces services comme un « véritable » ministère. Par ailleurs, en centrant ce service sur l’autel, on réduit ce ministère à une fonction d’auxiliaire du prêtre dans les fonctions spécifiques exercées à l’autel.

Il est possible de lire dans les discussions actuelles à ce sujet une manière très « française » d’aborder les questions liturgiques. Il est probable en effet qu’un tel débat semblerait incongru voire incompréhensible dans d’autres pays. Une fois de plus, dans notre pays, la question liturgique repose sur la focalisation sur une manière de faire dont on fait un marqueur d’option ecclésiale ou même d’identité. Le risque est constant de voir tel usage devenir une « ligne de fracture » à travers lequel on sépare les personnes et parfois même les communautés chrétiennes. Très vite, on est « pour » ou « contre », bien souvent sans être d’ailleurs capable d’argumenter la raison de l’option.

Il faut dire que la liturgie se prête à ce genre de choses : il ne s’agit pas d’idées, mais de pratiques et les pratiques font toujours la vérité. On ne peut à la fois être debout et à genoux, mais on est debout ou à genoux. Dès lors tout peut devenir motif de débat : l’attitude pendant la prière eucharistique (à genoux, debout) ou lors du chant du Notre Père (les mains ouvertes ou les mains jointes), le geste de paix, la nature et la forme des vêtements des ministres ordonnés, les gestes et attitudes concernant la réception de la communion, et la liste pourrait s’allonger.

Dans un message publié le 15 août 2022, à l’occasion du 50e anniversaire du Motu Proprio de Paul VI Ministeria quaedam (15 août 1972) et plus encore dans l’allocution du 26 août devant les 2500 jeunes pèlerins français venus à Rome pour le grand rassemblement, organisé du 22 août au 26 août 2022 sous le thème : « Viens Sers et Va », le Pape François, un argentin qui vient de l’Amérique latine et qui n’est donc pas enfermé dans nos problématiques hexagonales, propose une piste sur laquelle il est utile d’attirer l’attention.

Au fond la pensée du Pape sur ce ministère particulier consiste à relier trois aspects et non un seul : les servants sont par nature à la fois servants de l’assemblée, servants du Christ et de l’Église, et donc servants du monde. Dans cette ligne, il invitait ces jeunes à ne pas « tomber dans la tentation du repli sur soi, de l’égoïsme », et plus encore dans ce temps des réseaux « de t’enfermer dans ton monde, dans tes petits cercles, dans tes réseaux sociaux ».

Des conseils donnés à ces jeunes, la presse (voir La Croix, 26 août 2022) a mis en lumière une question : « Comment vois-tu ta place au sein de l’Église ? ». Ce faisant, en liturgie, le Pape comme souvent, invite à un déplacement de regards : alors que ces débats dont le caractère lassant peut susciter chez certains une réaction découragée, sont centrés sur le « qui fait quoi », et plus encore sur le « comment », le Pape dit clairement que les servants sont comme tout chrétien, à l’image du Christ qui s’est fait serviteur. Il s’agit donc de ministres du Christ serviteur de tous les hommes et notamment des plus petits. C’est d’ailleurs là que la présence de jeunes servants dans nos assemblées liturgiques est la plus signifiante. Ils sont souvent ces plus petits qui nous rappellent que le Christ s’est fait l’un de nous pour nous montrer l’exemple. L’Évangile du lavement des pieds (Jn 13, 1-15) lu le Jeudi Saint est bien la clé de compréhension de la question.

Patrick Pretot, osb.
Lieu(x) :
  • Paris
Publié le 29 septembre 2022 Mis à jour le 4 octobre 2022

A lire aussi