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Un nouveau mobilier liturgique pour Notre-Dame de Paris

Engagé depuis quatre ans dans la réflexion sur l'aménagement de la cathédrale, le père Gilles Drouin, directeur de l'ISL réagit au choix de Guillaume Bardet pour la réalisation du nouveau mobilier liturgique.

illu actu mobilier ND Nivenn Lanos

Les conséquences du feu

Quatre ans après l'incendie de Notre Dame qui avait endommagé l'autel de Jean Touret et détruit l'ambon, Mgr Ulrich a dévoilé le nouveau mobilier liturgique de la cathédrale Notre Dame de Paris.
P. Gilles Drouin, directeur de l'Institut Supérieur de Liturgie apporte quelques réactions "à chaud". Le liturgiste a participé dès le départ à l'aventure, au service de deux archevêques, d'un administrateur et de deux recteurs.

Le choix du mobilier liturgique

P. Gilles Drouin :
Les commentaires commencent à affluer, et c'est normal. On aime, on n'aime pas mais là n'est pas l'essentiel. Je ferai cinq remarques à l'issue d'un processus qui n'est pas totalement, terminé (Quelques ajustements sont à faire et surtout il va falloir accompagner la réalisation concrète des 5 objets ) mais laisse entrevoir une issue digne et heureuse :

1-Sur le plan de la "plastique", le choix fondamental de Guillaume Bardet est celui du bronze, un matériau noble, certes présent dans la cathédrale (Grand crucifix, anges de la Passion) mais par lequel l'artiste a choisi de ne pas reprendre littéralement les deux matériaux rois de Notre-Dame : la pierre blonde d'Ile de France et le verre, ainsi que dans une certaine mesure le chêne sombre des stalles. Le bronze, ainsi que la pureté, quasi cistercienne des formes confèrent à ces 5 objets une vraie densité de présence ;

2-Le signe le plus important de cette opération, rarement souligné par les commentateurs, me semble celui du baptistère, présent au seuil de la cathédrale. Ne pas réduire l'aménagement liturgique d'une église, et à fortiori d'un édifice aussi important que Notre-Dame à une terna "autel-ambon-sièges" et à son installation sur un plateau liturgique, me semble un signe important et une étape non négligeable dans la réception, encore en cours en ces matières, de l'ecclésiologie et de la théologie de la liturgie du Concile.

Désormais le lieu des baptisés, la nef, sera "enchâssée" entre les deux lieux structurants, le centre eucharistique à l'est et la fontaine baptismale à l'ouest, de l'action liturgique. Il reste encore beaucoup à faire mais à coup sûr, l'aménagement de Notre-Dame constituera une étape importante dans une prise de distance avec un modèle de face à face et d'extériorité des fidèles par rapport à l'action liturgique que dénonçait déja Pie XII, en celà repris par Vatican II, quand il regrettait qu'ils soient comme "des spectateurs étrangers et muets" par rapport à l'action liturgique.

3-L'espace liturgique de Notre-Dame sera désormais structuré comme une métaphore de la vie chrétienne, centrée sur l'eucharistie (autel), prenant sa source dans le baptême (baptistère), nourrie par la Parole (Ambon, certes latéral) et ouverte sur un Au-delà (Tabernacle et Croix de gloire). C'est un signal important en termes de manifestation d'une juste articulation entre sacerdoce baptismal et ministère sacerdotal, une question centrale à l'heure de la synodalité, et de prise en compte de l'importance du catéchuménat dans la vie d'une Église d'une métropole mondialisée comme Paris, et plus largement de la structure catéchuménale de la vie chrétienne ;

4-En ce sens, davantage que les formes et les matériaux des objets, toujours discutables (L'autel de Guillaume Bardet marque un double rééquilibrage par rapport à celui de Jean Touret: un déplacement du curseur "sacrifice-repas" et surtout une note d'hospitalité qui n'exclut en aucun cas la verticalité), l'essentiel réside dans l'économie de l'espace. En d'autres termes, la question que nous devons nous poser dans ce type d'opération est la suivante: que voulons nous faire vivre et manifester à travers l'articulation de ces divers signes de la présence du Christ, au sens de SC7 que nous posons pour "organiser" l'espace liturgique ? (l'autel pour le sacrifice de la messe, le tabernacle pour la présence eucharistique, l'ambon pour la présence du Christ dans la proclamation liturgique de la Parole, le baptistère et les lieux de réconciliation pour la présence du Christ dans les sacrements).

Des propositions avaient été envisagées pour manifester de manière plus nette la présence du Christ à travers une assemblée toute entière célébrante. Notre Dame marquera avec son baptistère occidental une étape importante d'une recherche qui doit être poursuivie en ces matières. En d'autres termes, après avoir en partie reconquis l'espace de la cathédrale désormais tout entier liturgique, du portail à la chapelle de la Couronne d'épines, des collatéraux au déambulatoire désormais habités par un chemin accompagnement des visiteurs, il nous faut désormais travailler sur le lieu de l'assemblée pour mieux manifester une juste articulation entre sacerdoce baptismal et ministère sacerdotal au sein d'une assemblée toute entière célébrante ;

5-Un enseignement majeur de ce long processus, marqué par d'importants soubresauts dans le gouvernement de l’Église de Paris réside dans l'impact du processus retenu pour choisir les artistes appelés à réaliser un tel ensemble.
En gros nous avons deux options: ou bien la coconstruction d'un projet avec un artiste ou une équipe ou bien l'organisation d'un concours. La première méthode favorise une réflexion, globale, avec une parfaite intégration des dimensions liturgico-symbolique, première mais aussi, fonctionnelle et patrimoniale de ce type d'opération.

La seconde, celle du concours, ouvre et stimule une heureuse créativité de très beaux objets avec le risque, que nous avons je crois en grande partie évité à Notre-Dame, que la dimension plastique, esthétique, l'emporte sur la cohérence liturgico-symbolique de l'ensemble. Ou dit autrement que nous réduisions une telle opération d'aménagement au choix de formes et de matériaux d'objets par ailleurs posés sur un plateau sans que soit pensée la dimension organique de l'action liturgique, dans sa dynamique propre, organisée à partir de signes qui fonctionnent en réseau !

Une nouvelle page de la très longue histoire de l'aménagement liturgique de notre cathédrale millénaire vient de s'ouvrir avec ce choix posé par notre archevêque.

Rendons grâces à Dieu pour le signe donné avec la perspective, désormais proche, d'une réouverture de notre cathédrale qui sera, plus encore que précédemment, un lieu fait et structuré pour/par la célébration de la liturgie et en même temps...ouvert à tous !

 

Lieu(x) :
Publié le 25 juin 2023 Mis à jour le 6 juillet 2023

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